17.3.05

Kant : « Moi » et « dignité »

Question : Comment Kant montre-t-il que l'idée de noumène, appliquée au moi, n'est pas uniquement un postulat théorique ?

Réponse : Ce que vous appelez « un postulat théorique » désigne manifestement une manière d'abstraction dont nous n'aurions pas une connaissance empirique précise, et au sujet de laquelle nous aurions à demeurer sceptiques.

Or il faut bien comprendre :

- que la représentation du moi comme noumène est effectivement une qualification «théorique», puisque nous ne pouvons avoir de sa nouménalité qu'une « pensée » et non au sens strict que lui donne Kant une « connaissance », qui implique un rapport à la sensibilité et à l'expérience. Il n'y a donc pas lieu d'en exiger une représentation sensible, qu'elle soit affective ou observationnelle, car cela serait purement et simplement contradictoire.

- que la qualification théorique de la nouménalité du moi n'implique pas une sorte de déni de sa réalité : la « réalité » du moi nouménal ressortit non à une certitude empirique mais à une certitude morale, et celle-ci renvoie elle-même à une certaine exigence pratique. Admettre dans le sujet un « caractère intelligible », et qu'il est donc capable d'initier une chaîne causale quelconque dans la nature, c'est tout simplement exiger que le sujet soit conçu au point de vue moral, et considérer que cette manière de se le représenter est pertinente et vraie.

Maintenant l'exigence pratique de postuler la nouménalité du moi tient essentiellement au devoir, c'est-à-dire à la conscience, dont nous ne pouvons jamais nous départir, de la légalité de la « loi morale », dont l'efficace sur la volonté consiste fondamentalement en ce que nous savons toujours de quoi il retourne dans l'action, et de quelle manière le vouloir devrait s'y déterminer. Le devoir « élève l'homme au-dessus de lui-même », écrit Kant (C.R.Prat., © PUF, p. 91) et le rapporte « à un ordre de choses que l'entendement seul peut concevoir et qui en même temps commande à tout le monde sensible » (ibid.).

Prosaïquement, cela signifie que la pensée que nous avons d'un ordre des choses fondé sur des principes et une volonté rationnels est ce par quoi se signale pour tout sujet une autre manière d'être et d'exister que naturelle et empirique, en d'autres termes sa « liberté et indépendance à l'égard du mécanisme de la nature » (ibid.).

En ce sens, dans sa nouménalité, le moi se dénomme, dans le vocabulaire de Kant, la «pesonnalité», qui est ce par quoi nous excédons très réellement — quoique nous n'en ayons pas la moindre trace empirique — la phénoménalité de notre condition.

Ainsi donc, parler du moi en termes nouménaux, c'est tout simplement affirmer la nature ou en tout cas la destination morale du sujet.


Question : Qu'est-ce que Kant entend par la « dignité » du sujet ?

Réponse : La dignité du sujet est chez Kant étroitement liée à sa personnalité, si l'on entend par là non pas une propriété psychologique, mais précisément ce par quoi le sujet est indépendant à l'égard du mécanisme de la nature. Elle exprime le fait de l'« être raisonnable », et qu'il est digne de respect parce que sa raison est capable d'être pratique par elle-même, c'est-à-dire de le déterminer efficacement dans ses intentions, sinon ses actions. Ainsi la dignité marque l'élévation de la personne, et qu'elle est une « fin en soi » et possède une « valeur absolue ».

Dans ce contexte, la dignité de l'homme est un cas particulier de la dignité de la personne ou de l'être raisonnable, et sa particularité consiste en ceci que son destin le rattache et au monde sensible par sa nature corporelle, et au monde intelligible par sa raison pratique.