8.10.04

Note sur Malebranche et les « archétypes »

Question : Si l'on appelle « ectypes » les choses en tant qu'elles sont connaissables avec l'ensemble de leurs propriétés par le moyen de leur « archétype », faut-il croire que l'« archétype » n'est pas quant à lui connaissable comme tel ? Et faut-il dès lors supposer que chez Malebranche la théorie des « archétypes » est l'analogue d'une théorie d'inspiration vaguement platonicienne, selon laquelle les « idées » demeureraient inexorablement hors d'atteinte de l'intelligence ?

Réponse :
Il importe au premier chef de se défaire du préjugé selon lequel la réalité, dans son ensemble, surgirait à la conjonction d'une espèce de monde « idéal » et d'un monde évidemment « matériel ». Ce dualisme naïf n'est pas au centre de la pensée de Malebranche, et il n'y a donc pas lieu de procéder à une distinction confuse de ce qu'il appelle « archétype » et de ce que nous pouvons par commodité appeler « ectype ».
Maintenant, en lisant La Recherche de la vérité, on apprend « qu'afin que l'esprit aperçoive quelque objet (…) il n'est pas nécessaire qu'il y ait au-dehors quelque chose de semblable à cette idée [qu'il en a] » (Livre III, II° partie, chapitre I — Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 320 sq.). Les choses extérieures ne sont donc selon Malebranche que des représentations, et c'est par les idées ou les sensations que nous en avons et qu'elles nous apparaissent, et que nous avons la capacité d'y porter notre attention, les unes comme les autres n'étant que des « pensées » ou encore des « modifications de l'âme ».
La question de la connaissance ne se pose donc pas sur le fond d'une distinction entre un « monde extérieur » des choses et un « monde intérieur » des idées, mais elles se pose à la lumière d'une distinction entre plusieurs registres de la représentation, parmi lesquels on distingue notamment les « archétypes » d'une part, et nos « sentiments » d'autre part. Ceux-ci ne désignent évidemment rien de proprement affectif (les sentiments moraux), mais des représentations que nous avons en tant que nous les éprouvons, des « manières de penser » qui restent par conséquent confuses.
Une chose est dès lors sûre, c'est que les seules représentations dont nous puissions nous assurer que nous les connaissons, ou du moins que nous pouvons les connaître, sont les « archétypes », seuls susceptibles d'une « pure intellection » de l'esprit.
Il faut évidemment accorder, dans ces conditions, que nous ne disposons pas de l'« archétype » de toutes choses, mais que :
- la connaissance que nous avons des choses extérieures en est une connaissance par leurs « archétypes », pour autant que nous considérons les idées des corps matériels (et donc leur nature et leur ordre purement géométriques) ;
- la connaissance des « esprits » et de leurs propriétés demeure une connaissance de « sentiment », et requiert que nous nous éprouvions en conscience, non que nous nous examinions comme des objets intelligibles.


Question : Est-ce que ce n'est que « par lumière et par évidence » que nous connaissons les « archétypes » ou bien est-ce qu'il faut les déduire d'une manière ou d'une autre de l'extériorité ?

Réponse :
Aucune procédure logique n'est nécessaire pour concevoir l'« archétype » d'une chose, et donc une telle idée ne résulte nullement d'une opération de déduction. Nous avons des idées, cela est un fait et n'est après tout que cela, et parmi ces idées il y a notamment celle de l'étendue, dont nous pouvons alors analyser la nature et déduire les propriétés en faisant purement et simplement varier à l'infini ses possibilités — comme un « géomètre » ou un « vrai physicien ».
Connaître « par lumière et par évidence », c'est ainsi n'avoir pas à recourir à la sensation ou l'expérience pour examiner les propriétés des choses extérieures, mais à la seule puissance de l'entendement ou intelligence ; et c'est extraire des concepts relatifs à l'étendue toutes les propriétés que nous sommes susceptibles d'y apercevoir, ce qui requiert évidemment le génie ou du moins le talent de l'esprit géométrique. Il faut ainsi conclure qu'en effet c'est uniquement « par lumière et par évidence » que nous connaissons les « archétypes ».